« Ma joie et mon irréductible enthousiasme sont mon infatigable moteur ! Je me suis toujours rangé au côté des enthousiastes parce l’enthousiasme est un état de grâce »
Jacques Canetti
« Ma joie et mon irréductible enthousiasme sont mon infatigable moteur ! Je me suis toujours rangé au côté des enthousiastes parce l’enthousiasme est un état de grâce »
Jacques Canetti
Sourcier sûrement, sorcier peut-être, Jacques Canetti n’a besoin que de son talent pour faire éclore celui des autres. Explorateur infatigable, découvreur impénitent, défricheur perspicace, il a été pendant des décennies le Christophe Colomb de la chanson française, révélant à eux-mêmes les plus grands alors qu’ils étaient encore petits. Conjuguant la foi et l’instinct, Jacques Canetti a fait se lever le soleil sur d’immenses carrières : de la môme Piaf à Georges Brassens, de Charles Trenet à Jacques Higelin, de Boris Vian à Brigitte Fontaine en passant par Jacques Brel, Félix Leclerc, Guy Béart, Serge Gainsbourg, Fernand Reynaud, Raymond Devos, Michel Legrand, Serge Reggiani…et beaucoup d’autres encore.
« Jacques Canetti a su être le premier, celui qui comprend, celui qui dévoile, un vrai découvreur de talents »
Véronique Mortaigne dans Le Monde
La vie de Jacques Canetti ? La plus belle affiche que l’on puisse rêver. Derrière les projecteurs se cache un petit homme discret, secret, un « jeune homme aimant la musique ». Né en 1909 à Roustouck en Bulgarie, puis élevé en Angleterre, Jacques Canetti fait ses études à Vienne, Francfort et Lausanne avant d’immigrer en France en 1926 au moment de la montée du nazisme. Cultivé et européen avant l’heure, il parle 4 langues, joue du piano et est doté d’une excellente culture musicale.
Reçu à HEC en 1928, il découvre alors le music-hall. Il plaque ses études et entre en 1930 chez Polydor qui représente la prestigieuse Deutsche Gramophon avec ses trésors de musique classique. Jacques Canetti a 21 ans. Il arpente les studios et assiste à l’enregistrement du Boléro dirigé par Maurice Ravel lui-même. Il assure le 1er enregistrement mondial de la « Suite lyrique » d’Alban Berg avec le Quatuor Galimir et ceux de la jeune pianiste Clara Haskil.
En 1934, Jacques Canetti arrive à faire enregistrer l’intouchable Marlene Dietrich dans des chansons qu’il fait écrire spécialement pour elle en français.
Fou de jazz, Canetti anime tous les lundis soirs la première émission de jazz en France: Jazz Hot sur le Poste Parisien. En 1932 il devient le correspondant en France de Melody-Maker. En 1931, Jacques Canetti fait venir pour la 1ère fois en France Duke Ellington, puis en 1933 Louis Armstrong et les Mills Brothers dont il organise les premiers récitals et les tournées en Europe.
En 1935, il est « repéré » par Marcel Bleustein-Blanchet le fondateur de Publicis qui vient de créer Radio-Cité. Directeur artistique de la station entre 1935 et 1940, il invente avec Marcel Bleustein-Blanchet, tous les concepts radiophoniques encore utilisés aujourd’hui : les émissions en public, les émissions en « direct », les chroniques d’une minute, les feuilletons, les annonces publicitaires, les partenariats avec les grandes marques, les jingles musicaux … avec notamment les campages Dop et Monsavon. On doit aussi à Jacques Canetti la création du « Crochet radiophonique » et du « Music-hall des Jeunes » dans lesquels il fait découvrir aux auditeurs de Radio-Cité plusieurs artistes à leurs débuts tels Charles Trenet, Lucienne Delyle et Edith Piaf dont il produit les premiers disques.
Après la capitulation de la France et avec l’arrivée des lois anti-juives, Jacques Canetti quitte Paris debut 1940 et rejoint la zone sud (Toulouse) avec Pierre Dac, Jeanne Sourza, Raymond Souplex et Françoise Rosay. Canetti a l’idée de créer la première coopérative d’artistes, l’ACPA, qui parcourt la zone libre.
Grâce à Françoise Rosay, il arrive à gagner Alger le 11 novembre 1942 au moment du débarquement des alliés. Il prend alors la direction de Radio-Alger à qui il donne immédiatement le nom de Radio France. Mais Jacques Canetti quitte rapidement son poste. Il a fait une rencontre décisive ; celle de René Capitan,le représentant du Général de Gaulle en Afrique du Nord.
Canetti fonde à Alger la troupe du Théâtre des Trois Anes avec les chansonniers Pierre-Jean Vaillard, Georges Bernardet et Christian Vebel et les chanteuses Lucienne Vernay, Geneviève Mesnil et Clairette May. De 1943 à 1945, la troupe des Trois Anes sillonne toute l’Afrique du Nord, de l’Algérie à l’Egypte et collecte des fonds pour le mouvement COMBAT.
En 1946, de retour à Paris, Jacques Canetti retrouve son poste de directeur artistique chez Polydor. Le catalogue a vieilli à l’exception d’Edith Piaf. La Môme Piaf est devenue Edith Piaf. Malgré leur amitié, Edith a des exigences musicales que Polydor ne peut pas lui assurer. Le catalogue est donc à reconstruire.
Le premier débutant que Jacques Canetti enregistre en 1948 est Charles Aznavour alors en tandem avec Pierre Roche. Les disques c’est bien … mais cela ne répond que partiellement à la question : comment promouvoir de nouveaux artistes et construire de nouvelles carrières ? C’est là que Jacques Canetti a l’intuition géniale d’associer trois « métiers » jusqu’alors bien distincts : la scène, le disque et les tournées. Cette association de compétences aboutit à l’élaboration d’une véritable « rampe de lancement » que Jacques Canetti construit de A à Z : Fin 1947, Canetti ouvre le Théâtre des Trois Baudets.
En 1950, sa licence de tourneur en poche, il crée la société Radio-programme qui organisera pendant plus de 20 ans des tournées dans tous les pays francophones. Enfin, en 1951 Philips rachetera la maison de disques Polydor. Tous les artistes de Polydor suivront comme un seul homme leur directeur artistique : Jacques Canetti.
En 1947, Jacques Canetti trouve un dancing délabré situé rue Coustou, Il le loue et décide d’y créer le Théâtre des Trois Baudets. Après de gros travaux, le Théâtre des Trois Baudets est inauguré le 15 décembre 1947. Sa salle dispose de 247 fauteuils de velours rouge, une petite scène de 15m² et de 4 loges d’artistes. Après des débuts lents et difficiles, c’est au Théâtre des Trois Baudets que naît l’ère des auteurs-compositeurs-interprètes à laquelle le nom de Jacques Canetti reste indéfectiblement attaché.
« J’aime les sentiers inexplorés, les essais, l’espoir, la lutte, j’aime ou je n’aime pas, mais j’essaie toujours de comprendre. »
Jacques Canetti
C’est dans ce petit théâtre privé que pendant 2, 3 voire 4 ans, des artistes encore inconnus tels que Félix Leclerc, Georges Brassens, Jacques Brel, Guy Béart, Serge Gainsbourg, Francis Lemarque, Anne Sylvestre, Bobby Lapointe, Raymond Devos, pour ne citer qu’eux viendront se produire tous les soirs.
Sous l’impulsion de Jacques Canetti, le Théâtre des Trois Baudets devient une extraordinaire « pépinière de talents » qui donne aux artistes le temps de devenir. C’est à dire de pouvoir écrire et essayer leurs chansons ou leurs textes, les roder devant un public, devenir des artistes de scène, surmonter leur trac, peaufiner leur tour de chants, travailler tous les jours qu’ils aient ou non du succès. A travers les Trois Baudets, les tournées qu’il organise dans toute la France, et les disques, Jacques Canetti permet aux artistes de travailler régulièrement et de se construire lentement.
« Construire la carrière d’un artiste … c’est avoir de la patience, parler, insister, le défendre, croire durablement en lui, lui insuffler sa confiance. C’est imaginer son « à venir » et lui donner les moyens d’aller jusqu’au bout de lui-même »
Jacques Canetti
De 1947 à 1967, les spectacles du Théâtre des Trois Baudets sont élaborés sur une construction commune. Chaque soir, une quinzaine d’artistes s’y produisent. En 1ère partie, 5 à 6 artistes font leur tour de chant (3 et 5 chansons ou sketches). Entracte. La seconde partie est une création d’un d’auteur (Pierre Daninos, Raymond Queneau, Boris Vian, Pierre Kast, François Billetdoux, etc.…). C’est aux Baudets que plus d’une centaine d’artistes, musiciens, poètes, amuseurs, auteurs, comédiens vont démarrer leur prodigieuse carrière. Doté d’une confiance et d’une patience à toute épreuve Jacques Canetti soutient « ses » artistes avec obstination.
L’écurie des Trois Baudets est constituée par des auteurs compositeurs et interprètes : parmi eux citons, Francis Lemarque, Henri Salvador, Félix Leclerc, Georges Brassens, Jacques Brel, Guy Béart, Boris Vian, Serge Gainsbourg, Jean-Roger Caussimon, Anne Sylvestre, Boby Lapointe, Leny Escudero, etc.… Avec des interprètes tels que Catherine Sauvage, Juliette Gréco, Patachou, Jacqueline François, Marcel Amont, Philippe Clay, etc.…. Les Frères Jacques y feront un bref passage après « la Rose Rouge » (Ils enregistreront avec Jacques Canetti les premières chansons de Jacques Prévert).
Des humoristes tels que Pierre Dac, Francis Blanche, Fernand Raynaud, Robert Lamoureux, Raymond Devos, Bernard Haller, Darry Cowl, Jean Yanne, Gérard Sety, Christian Duvaleix, Pierre Étaix, Jean‑Marie Proslier, Pierre Repp y font leurs débuts ainsi que des comédiens comme Michel Roux, Rosy Varte, Philippe Noiret, Pierre Darras, Robert Rochefort, Roger Carel, Henri Virlojeux, etc…
Des pianistes également y démarrent leurs carrières : Michel Legrand, Pierre Arnaud de Chassy-Poulay, André Popp, Darry Cowl et Alain Goraguer. Enfin, des metteurs en scène contribuent au succès des spectacles des Trois Baudets : Michel de Ré, Yves Robert, Olivier Hussenot … D’autres artistes s’y s’illustrent également : Renée Lebas, Jacques Grello, le peintre Georges Arditi, Alexandre Jodorowski, René Cousinier, Béatrice Moulin, Pierre Dudan, Nicole Louvier, Simone Langlois, Bob Dupac, Denise Benoît, Jean-Claude Darnal, et des groupes vocaux : Les Garçons de la rue, Les Quatre Barbus, Les Trois Horaces, Les Trois Ménestrels, Les cinq Pères …
Pour le public, le Théâtre des Trois Baudets, c’est un ton nouveau, une ambiance, une audace, un éclectisme, un esprit de famille …et surtout un laboratoire de talents. Un climat de camaraderie et de travail règne entre les artistes, dont les noms sont pratiquement de taille égale sur les affiches. Autour de Canetti, ils se retrouvent après le spectacle pour retravailler leur tour de chants, les lumières, les musiques… Certains artistes comme Georges Brassens, Boris Vian ou Jacques Brel jouent un rôle de catalyseur et trouvent les mots justes pour encourager les artistes aux débuts difficiles.
Fin 1962, alors qu’il démissionne de Philips pour créer son label indépendant, Jacques Canetti décide de confier l’exploitation des Trois Baudets à Jean Méjean. Il ne reviendra qu’en 1964, pour deux saisons, avec de nouveaux chanteurs, parmi lesquels Maurice Fanon, Jean Arnulf et Brigitte Fontaine … et le retour de Félix Leclerc avec le spectacle « le Petit Bonheur ». En proie à des difficultés financières, Jacques Canetti ferme définitivement le Théâtre des Trois Baudets en juillet 1967… Le dernier spectacle des Baudets est « L’affaire de la rue de Lourcine » de Eugène Labiche mise en scène par Patrice Chéreau et Jean-Pierre Vincent qui font leurs débuts. En février 2009, sous l’impulsion de Daniel Vaillant et de Bertrand Delanoë, la Mairie de Paris rouvre les Trois baudets.
Pour plus d’informations sur les Trois Baudets :
Site officiel des Trois Baudets
Le Hall de la Chanson vous présente Les Trois Baudets
Jacques Canetti organise les récitals de Maurice Chevalier dont celui de l’Alhambra en 1956… Il fait appel à Michel Legrand pour la direction musicale du spectacle et au génial Alexandre Jodorowski pour la scénographie. Il sera l’organisateur des spectacles de Maurice Chevalier jusqu’en octobre 1968, lors de ses adieux au Théâtre des Champs Elysées.
Quant à Yves Montand avec lequel il avait noué une solide amitié, de 1954 à 1968, il organise tous ses récitals à Paris – Théâtre de l’Etoile 1954 – 1958 – et à l’Olympia en 1968. Jacques Canetti est aussi l’artisan de son rayonnement à l’étranger en organisant ses premiers récitals à New York en 1960 puis sa tournée au Japon en 1962.
Enfin, sait-on que Jacques Canetti introduit la chanson française dans le temple du théâtre, le TNP de Jean Villard ? Il y organise le spectacle « Georges Brassens – Juliette Gréco » joué à guichets fermés pendant plus de 6 semaines du 16 septembre au 22 octobre 1966.
Dans le domaine de la littérature, Jacques Canetti “invente” pour Philips la collection “Auteurs du XX° siècle”, avec des auteurs prestigieux: Jacques Prévert, Julien Green, Colette, Malraux, Mauriac, Romain Rolland, Pierre Mac Orlan, Georges Simenon etc.… Il lance la série “Piccolo, Saxo et Cie” avec André Popp et Jean Broussolle et un répertoire “jeune public” avec sa femme Lucienne Vernay et Les Quatre Barbus.
De retour des Etats-Unis en 1956 avec Michel Legrand, plus amusé que séduit par le rock, Jacques Canetti propose à Boris Vian d’écrire les premiers rocks français qui seront chantés par Henry Salvador, puis par Magali Noël sur des musiques de Michel Legrand et Alain Gorraguer. En 1957, il confie à Boris Vian la direction artistique des disques Fontana pour le répertoire jazz et chanson.
En septembre 1962, Jacques Canetti démissionne de Philips pour lequel il a créé le plus prestigieux catalogue de chansons françaises. Il fonde son propre label de disques « Les Productions Jacques Canetti » pour continuer de faire son métier de producteur en « artisan », comme il l’a toujours fait. En pleine période Yéyé où les 45 tours régissent le marché du disque, il produit des albums dont il crée la charte graphique (son écriture manuscrite signe les photos noir et blanc de « ses » artistes).
En 1964 Jacques Canetti produit l’album « Jeanne Moreau chante Bassiak». En 1965, il convainc Serge Reggiani de faire ses débuts dans la chanson. Il produit en 1965 et 1967 ses deux albums mythiques (les Loups, le Petit Garçon, Ma Liberté…). En 1966, il produit les premiers albums de deux jeunes inconnus : Jacques Higelin et Brigitte Fontaine dont le succès n’est pas immédiat. En 1967, il enregistre l’anthologie des chansons de Boris Vian, en 1975 celle de Jacques Prévert, en 1985, celle de Jean Cocteau. En 1974, il s’enthousiasme pour Eric Robrecht auteur compositeur interprète dont les albums rencontrent un succès d’estime, puis en 1984 pour Jean-Marie Hummel dont la carrière démarre outre-rhin, en Allemagne.
Entre 1978 et 1988, il crée et produit des spectacles de chansons qu’il présente au Festival Off à Avignon. Son dernier spectacle est un spectacle avec des chansons inédites de Jean Cocteau au Théâtre du Rond-Point. Jusqu’à la fin de sa vie le 7 juin 1997, à Suresnes (Hauts de Seine), Jacques Canetti saura rester un homme discret et enthousiaste et arpentera tous les soirs les salles de spectacle pour y écouter de jeunes auteurs compositeurs interprètes.
Grace à Charles Aznavour, le Théâtre des Trois Baudets est sauvé C’est lui qui a alerté la mairie de Paris. Résultat foin 2009, ce théâtre « qui est à la chanson ce que la Comédie Française est au Théatre « a été ré-ouvert. Il est dirigé par Olivier Poubelle et Alice Vivier dont la programmation est dans la ligne de ce Caneti aurait aimé pour « son théatre » .
En 2014, la mairie de Paris inaugure la Promenade Jacques Canetti entre Blanche et Pigalle, face au Théâtre des Trois Baudets
Jacques Canetti a eu trois enfants ; Colette, Françoise et Bernard, tous actifs dans les milieux culturels.
A la disparition de son père, Françoise reprend les rênes du label de disques, les Productions Jacques Canetti.
En 2005, elle est la 1ere à signer sa distribution avec Emmanuel de Buretel qui monte son label de disques : Because. Avec ses conseils et ceux de son équipe, elle a un but : valoriser un catalogue qui n’a pas d’âge et expliquer le travail de producteur musical de son père.
Elle fait paraître au fil des années tous les enregistrements dans des coffrets prestigieux ( avec souvent plein de pépites ou d’inédits) et depuis 5 ans, produit des vinyles.