JP-Chabrol,-X,-J.Canetti,-G.Brasens---C-Roger-Picard

“Il est unique par sa modestie, sa gentillesse et son humour”

J’ai connu Brassens en 1952 chez Pata­chou. Je venais de rencontrer une personnalité hors du commun. Des textes poétiques de toute beauté, des musiques simples, comme évidentes, bien que très riches mélodiquement. La voix était tonique, rythmée. Enfin, quelqu’un dont l’humour était à la fois tendre et féroce, qui parvenait à se montrer totalement original tout en étant l’héritier d’une tradition française de «poètes-chansonniers» contestataires de l’ordre établi.

Je brûlais d’impatience de le présenter à mon public des Trois Baudets, il accepta immédiatement. Le 19 septembre 1952, Brassens débutait officiellement aux Trois Baudets. Modeste­ment, Georges passait en numéro trois. Son trac était tel que je me tenais en coulisses tout près du rideau. Il avait besoin d’un regard complice, d’un encouragement entre deux chansons.

L’accueil fut mitigé. La presse avait apprécié Brassens mais le public était partagé.

Ses premiers disques m’ont d’ailleurs posé de sérieux problèmes: certains censeurs tentèrent d’arrêter la diffusion du Gorille. J’eus gain de cause grâce à une astuce : faire passer ces disques sous la marque Polydor et mon coup de tête fut payant. Deux ans après les débuts de Brassens il y eut des salles pleines dans tous les grands music-halls de Paris et hors de Paris.

Tout a été dit sur Brassens. Pour moi, il n’est pas seulement un ami, il est unique par sa modestie, sa gentillesse et son humour. Brassens a ainsi cette manie affectueuse de donner des surnoms: Patachou devient «la Tigresse», moi, je suis pour lui «Socrate».

Sa fidélité est légendaire, mais il est difficile d’entrer dans le cercle de ses amis. A cela s’ajoute un grand rayonnement personnel. Avant de devenir le grand Brassens, il était le flambeau du petit monde des Trois Baudets. Il s’intéressait au sort de chacun et savait conseiller. De tout son coeur, il a soutenu Jacques Brel, pardon : «l’Abbé Brel», tant que celui-ci en eut besoin.

C’était moi qui me chargeais de l’encourager aux Trois Baudets… Désormais, lorsque je vais le voir, sa gouvernante nous sert un bon repas qui réchauffe la tripe et l’âme. On rit, on bavarde, on médite, on ne parle jamais d’affaires. Les heures passent : «Bon Dieu! Il est 5 heures et j’avais rendez-vous à 3 h 30!… Non, ça fait rien, Socrate, c’était pas important. Allez, on reste ensemble…»*

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*Extrait du livre et du coffret “Mes 50 ans de chansons Françaises».